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Les algues sont-elles une ressource marine à exploiter pour développer durablement l’espace caribéen ? Publié le mercredi 29/12/2010 - URL : http://etudescaribeennes.revues.org/4389 |
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L’algue est une ressource marine peu étudiée par la géographie ; elle offre pourtant des potentialités de développement économique. |
L’algue est une ressource marine peu étudiée par la géographie ; elle offre pourtant des potentialités de développement économique. Les macro-algues cultivées à des fins alimentaires sont une alternative à la pêche. Les micro-algues constituent une biomasse valorisable : molécule pharmaceutique, Oméga 3 et biocarburants. De ces différents usages naît la question suivante : les algues sont-elles une ressource marine à exploiter pour développer durablement les territoires de la zone intertropicale ? Nous présenterons tout d’abord l’algoculture à l’échelle mondiale en soulignant le faible poids de cette activité dans le bassin caribéen. Puis nous montrerons que l’algoculture s’inscrit dans un processus de développement durable en assurant un revenu à des communautés rurales (Petites Antilles). Enfin, dans une approche comparative (États-Unis), nous verrons que l’espace caribéen est une région de projets et d’aménagements durables qui a des atouts pour développer l’algoculture : exposition solaire, hautes températures, proximité de la recherche américaine. Les études effectuées sur les algues sont généralement un domaine de recherche périphérique relié à la géographie du littoral ; la conchyliculture, l’ostréiculture ou la pisciculture sont ainsi des champs de recherche privilégiés exploités par la géographie. L’algoculture n’y est exposée que de manière épisodique au sein de travaux portant sur l’aquaculture ou abordant la filière pêche sous l’angle statistique. La culture des algues n’est pourtant pas un sujet ignoré en géographie comme en témoignent les recherches de François Doumenge. Ce géographe a en effet effectué un travail pionnier en introduisant le concept de « révolution aquacole » : en raison de la surexploitation des ressources halieutiques, l’homme se trouve dans l’obligation de maîtriser lui-même les cycles de reproduction de la faune et de la flore aquatiques (Doumenge, 1986 : 445). Cette « révolution aquacole » de 1960 à 1985 concerne la pisciculture et l’auteur évoque les modes de culture des algues Porphyra au Japon et les débouchés économiques liés à cette activité. Si la culture des macro-algues est principalement pratiquée dans l’aire culturelle asiatique, la culture des micro-algues telle que la spiruline n’est pas étrangère à des pays africains (Mali, Tchad) ou sud-américains. Le lac Texcoco situé au Nord de Mexico a été par exemple dans les années 1970 un haut site de culture de spiruline. On distingue ainsi deux types d’algue qui peuvent être cultivées : les macro-algues et les micro-algues. Car il existe précisément deux algocultures : une algoculture traditionnelle de macro-algue pratiquée sur ligne par bouturage dans les eaux de l’estran. La récolte s’effectue en bateau ou à pied selon le niveau d’eau. La deuxième algoculture est hautement technologique et à haute valeur ajoutée ; il s’agit d’une culture de micro-algue soit en bassin artificiel soit en photobioréacteur. L’algoculture traditionnelle est essentiellement à vocation alimentaire alors que l’algoculture de micro-algues sert de fourrage pour les écloseries de juvéniles, produit des molécules de chimie fine avec les espèces de type Chlorella et Arthrospira platensis (asthaxantine, oméga 3). Les micro-algues pourraient enfin fournir un carburant de troisième génération. La production des micro-algues est d’ailleurs aujourd’hui en forte augmentation dans le monde. Elle est passée de 5 000 tonnes par an à plus de 10 000 tonnes ces cinq dernières années (Cadoret, 2008 : 202). Cette production pourrait croître significativement avec la demande croissante d’un algocarburant qui a l’avantage de ne pas entrer en compétition avec les terres arables comme les agrocaburants. Au regard de ce constat, l’espace caribéen peut-il devenir un territoire privilégié pour le développement de l’algoculture ? Les Petites Antilles dont la superficie terrestre est de 33 733 km2 possèdent par exemple une large zone économique exclusive de 970 000 km2 (Taglioni, 2007 : 66). Il serait intéressant alors de promouvoir l’algoculture de macro et de micro-algues comme un nouveau moteur du développement économique. Nous tenterons ainsi de présenter à partir d’hypothèses de recherche élargies et dans une approche multiscalaire, les potentialités de développement durable issues de la culture de macro et de micro-algues. Nous présenterons tout d’abord l’activité algacole à l’échelle mondiale en nous demandant si la culture traditionnelle de macro-algues peut constituer dans le bassin caribéen une alternative à la pêche. Puis dans un deuxième temps, nous tenterons de comprendre que l’algoculture de macro-algue préserve les écosystèmes marins en nous appuyant sur des travaux de biologistes et à l’aide d’une étude de cas (l’île Sainte-Lucie). Enfin, en présentant les dynamiques d’innovations américaines, nous verrons à l’échelle régionale que l’algoculture de micro-algues offre des perspectives de développement économique respectueuses de l’environnement et des populations. 1. Quelle place pour l’algoculture dans l’espace caribéen ? 1.1 Présentation de l’activité algacole à l’échelle mondiale. En 2010, la production mondiale d’algues s’est élevée à 16 millions de tonnes dont 14,8 millions extraits de l’algoculture. Cette production se situe principalement en Asie : la Chine (9,8 millions de tonnes), les Philippines (1,5 million de tonnes) et l’Indonésie (1,7 million de tonnes), rassemblent à eux seuls près de 90% de la production mondiale tout type d’algues confondu et forment le premier pôle mondial de production d’algues. L’Amérique latine, avec le Chili (359 770 tonnes) et le Pérou (10 786 tonnes), constitue le deuxième pôle mondial de production d’algue. Ces algues sont issues de la cueillette dans de champs sauvages et de la culture sur lignes dans les hautes eaux de l’estran (Carré, 1998 : 90). Outre sa vocation alimentaire (l’Asie est le premier pôle mondial de consommation d’algues alimentaires), cette culture sert à extraire des alginates qui entrent dans la composition de nombreux produits agro-industriels (gélifiants alimentaires pour aliments lactés par exemple). L’espace caribéen produit peu d’algues et l’île de Sainte-Lucie (Petites Antilles), dont des artisans-pêcheurs valorisent localement l’algue rouge, produit de faible tonnage : une tonne pour l’année 2010. En revanche, la filière pêche est particulièrement développée et les quantités de poissons, de crustacés et de mollusques capturés sont révélatrices du poids économique de ce secteur dans un espace maritime qui s’étend sur 4,3 millions de km2. 1. 2 L’algoculture : une alternative à la filière pêche prédominante ? En 2010, le produit de la pêche pour les Petites Antilles atteint 42 384 tonnes ; des îles comme Trinidad et Tobago (8 406 tonnes), la Martinique (6 300 tonnes), la Guadeloupe (10 100 tonnes), les Antilles néerlandaises (3 662 tonnes) et Antigua et Barbuda (3 092 tonnes) fournissent d’importants stocks de production. Si l’on y ajoute la production des Grandes Antilles, ce sont alors 152 343 tonnes qui ont été pêchées dans la Mer des Caraïbes. À l’échelle régionale, Cuba est l’île la plus productrice de poissons, crustacés et mollusques avec un total de 62 106 tonnes. Les pays d’Amérique Latine dont la façade maritime est ouverte sur la Mer des Caraïbes sont également d’importants fournisseurs de matières premières halieutiques avec un total d’un million de tonnes. Le Venezuela est le premier pays producteur avec 477 210 tonnes produites (pêche et aquaculture confondues). Des pays de l’isthme américain comme le Costa Rica, l’Honduras et le Belize se singularisent par leurs productions issues de l’aquaculture avec respectivement 25 765 tonnes, 54 689 tonnes et 6 682 tonnes. Au total, la production halieutique de l’espace caribéen (hors Mexique, qui compte 1,5 million de tonnes à lui seul) s’élève à 1,2 million de tonnes pour l’année 2010 soit l’équivalent du produit de la pêche du Bangladesh, pays situé parmi les quinze premiers producteurs mondiaux de ressources halieutiques (Carré, 2009 : 16). Au regard de cet aperçu statistique, force est de constater que la pêche exerce une pression importante sur les écosystèmes marins de la Mer des Caraïbes. L’exploitation massive de cette ressource s’explique par des critères socio-économiques ; la pêche est une activité fondamentale en milieu insulaire qui fournit des emplois pour les sociétés locales. Les ressources halieutiques du bassin caribéen (Mer des Caraïbes et Golfe du Mexique) se renouvellent cependant difficilement ; la superficie du plateau continental est en effet réduite (carte de synthèse) et la faible surface des îles ne garantit pas un apport suffisant en éléments nutritifs (Taglioni, 2007 : 67). La pratique non durable de la pêche peut ainsi conduire à une raréfaction de la ressource préjudiciable à la population et à l’environnement. Or une autre ressource marine générant également de la valeur ajoutée peut être exploitée par les sociétés locales : l’algue rouge de type Euchema ou Gracilaria, naturellement présente sur les littoraux des territoires caribéens, offre d’autres voies de développement. La culture de l’algue dans l’espace caribéen constitue une alternative à la pêche artisanale de proximité et peut permettre ainsi la préservation de la ressource halieutique. 2. Les algues : un végétal à cultiver pour une gestion durable des écosystèmes marins. 2.1 Entre biologie et géographie, la culture algale et le développement durable. La culture des macro-algues est un champ de recherche largement exploré par les sciences du vivant. Des chercheurs de l’IFREMER se sont intéressés dès les années 1980 à la culture des algues (Delepine, 1988). René Pérez, biologiste de l’IFREMER, s’est penché sur les valorisations des algues rouges présentes aux Antilles (Barbaroux, 1984). Il a poursuivi ses recherches en publiant en 1992 et 1997 des ouvrages de référence (Pérez, 1992, 1997). Son travail est en effet une étude pragmatique des modes de mises en culture des algues dans différents espaces maritimes mondiaux. La culture des algues marines dans le monde est un ouvrage fondamental car il dessine, à l’échelle mondiale, les contours de l’exploitation économique des algues. Ce livre a apporté une synthèse typologique claire en présentant les alginophytes, les carraghénophytes, les agarophytes et les algues alimentaires. Il décrit les propriétés de ces algues, leurs cycles de reproduction, les procédés de culture en mer et en écloserie. Il dresse enfin toutes les utilisations qui peuvent être faites de ces végétaux aquatiques, de l’électrode de soudure aux gélifiants alimentaires. Les travaux plus récents d’Arnaud Muller-Feuga témoignent de cette continuité de la recherche scientifique portant sur les micro-algues au sein des laboratoires de l’IFREMER (Muller-Feuga, 1997). Son ouvrage dresse un inventaire thématique des potentialités de valorisation des microalgues : elles peuvent être utilisées dans l’aquaculture des mollusques en tant que fourrages pour les écloseries ; elles représentent ici un enjeu pour la conchyliculture. Elles sont également à intégrer dans les circuits de l’alimentation humaine notamment avec la production de spiruline. Dans le domaine pharmaceutique, leur exploitation relève du domaine de la chimie fine, pour être utilisées comme antioxydants ou pigments. Enfin en matière d’environnement et d’énergie, les algues participent au processus de captage du CO2 et à la production d’hydrogène et d’hydrocarbures. Ces recherches scientifiques en biologie sur la culture des algues sont réinvesties par les études des géographes dans les années 1990. Les modes littoraux de cultures des algues ont été mis en valeur par les travaux de François Carré qui a décrit les techniques de l’algoculture. Il présente les différentes espèces d’algues cultivées (les algues rouges ou Rhodobiontes, du genre Porphyra et les algues brunes ou Chrysobiontes avec les Laminaria japonica ou l’Undaria pinnatifida) puis les modes de culture fondée sur la reproduction sexuée ou à partir de boutures (Carré, 1998 : 97). François Carré s’est intéressé aux formes d’aménagement du littoral issues de l’algoculture. En partant des dessins de René Pérez, il a établi le schéma d’aménagement d’un lagon pour la culture des algues aux Philippines. La mer est « jardinée » autour de fermes qui sélectionnent des secteurs à lagons à platier corallien et où les vagues amènent constamment des sels nutritifs pour la croissance des algues. D’autres géographes ont travaillé sur les formes d’aménagement du territoire liés à la culture des algues, notamment dans les milieux insulaires (Bernardié, 2005). Nathalie Bernadié a mené une étude de cas sur l’algoculture sur l’île d’Unguja. Dans le cadre de l’ouverture économique de Zanzibar, le gouvernement lance en 1985 un programme de restructuration économique fondé sur la mise en valeur de ses atouts insulaires. L’algoculture devient une alternative économique importante. La production est destinée au marché asiatique et contribue en 1997 à produire 28% du PIB de l’île. L’auteur montre comment les sociétés locales sont passées d’une logique de cueillette à une activité structurée, fondée sur la culture d’une souche importée des Philippines. La technique de culture se fait sur des lignes en nylon attachées sur des piquets plantés dans le sable de l’estran. On appelle cet espace cultural des « champs de mer ». La culture des algues se fait exclusivement sur la côte Est de l’île dans un lagon protégé des courants. C’est une activité qui emploie plus de 15 000 personnes et qui permet d’élever le niveau de vie des populations locales. D’autres recherches géographiques sont venues préciser des aspects géographiques complémentaires sur l’algoculture, en utilisant les concepts novateurs et les méthodes de la géographie humaine et économique. La géographe Martine Tabeaud s’est en effet intéressée à la culture des algues à l’échelle mondiale (Tabeaud, 1996). Dans un article des Annales de Géographie, elle dresse le tableau des contraintes mondiales qui pèse sur cette production. Cette étude décrit la nouvelle géographie des algues en distinguant des zones récentes de production d’algues, telles que les Philippines et l’Indonésie qui viennent concurrencer les grands producteurs traditionnels comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud. L’ensemble de ces travaux portant sur la culture des algues rassemble ainsi des acteurs de la recherche variés. L’algoculture se déploie dans des espaces littoraux et les principaux pays producteurs d’algues sont des pays insulaires. L’étude de l’activité algacole privilégie un axe de recherche reposant sur la biologie (nombre d’espèces, caractéristiques bioclimatiques du milieu de culture, étude des courants marins). Parallèlement l’algoculture s’inscrit dans des territoires, c’est-à-dire des espaces aménagés par les sociétés locales. L’approche géographique est indispensable pour comprendre les dynamiques de l’algoculture et promouvoir un développement durable : il faut ainsi décrire les sites et saisir les impacts environnementaux de cette activité. La recherche géographique sur l’algoculture dans l’espace caribéen s’est développée grâce aux travaux pionniers de Gary Ramdine qui a identifié à l’échelle locale des terroirs aquacoles7 d’algues rouges sur l’île de Sainte-Lucie (Ramdine, 2003 : 180). 2. 2 Une étude de cas éclairante : les algues rouges cultivées dans les Petites Antilles. L’île de Sainte-Lucie appartient à l’arc insulaire des Petites Antilles qui sépare la Mer des Caraïbes de l’Océan Atlantique (voir carte de synthèse). Située à 22 miles nautiques au Sud de la Martinique, elle est une des 41 îles habitées de cet archipel. Les Petites Antilles s’étirent sur près de 1 800 kilomètres des Îles Vierges au Nord-Est jusqu’aux Antilles néerlandaises au Sud-Ouest. Ces îles, dont la façade orientale s’ouvrent sur la partie tropicale de l’océan Atlantique, offrent une grande diversité d’algues marines benthiques avec près de mille espèces recensées. Ces algues constituent le premier maillon de la chaîne alimentaire de l’écosystème marin. Ce sont des plantes chlorophylliennes qui nourrissent le phytoplancton. Elles sont surtout abondantes dans les hautes eaux lumineuses des platiers coralliens et dans les basses eaux rocheuses de l’Océan atlantique (Ramdine, 2003 : 183). Une dizaine d’espèces d’algues rouges sont récoltées et cultivées. Il s’agit principalement de l’Euchema et de la Gracilaria domingensis et crassissima traditionnellement exploitées comme source de nourriture. À partir d’un travail de terrain fondé sur deux sites de culture d’algues rouges (l’un sur la façade atlantique à Praslin et l’autre sur la façade caraïbe à Laborie), Gary Ramdine décrit les modes de culture. Il s’agit d’une culture par bouturage à partir d’une souche de Gracilaria extraite du milieu naturel et d’une souche d’Euchema importée du Belize. Les boutures sont fixées à des cordes flottantes en polypropylène arrimées au fond par des pierres. Il s’agit d’un mode de culture identique à celui qui est pratiqué en Asie et à Zanzibar que nous avons décrit précédemment. Les critères indispensables pour optimiser la culture des algues sont la salinité, la turbidité, une mer calme ou agitée, la profondeur des eaux et la présence de nutriments azotés pour la croissance des algues. Si la façade atlantique abrite de nombreux champs naturels de Gracilaria, la culture n’y est pourtant pas aisée car les courants sont trop importants pour permettre l’implantation des lignes bouturées. La culture sur la façade caraïbe est aussi difficile car : « au niveau des baies trop protégées des côtes caraïbes, la faible mobilité des eaux entraîne l’asphyxie des algues par l’accumulation des sédiments terrigènes » (Ramdine, 2003 : 190). Les meilleurs critères pour implanter une seamoss farm sont : une côte bien découpée, une présence de récifs barrières et des courants favorables au développement des algues (Ramdine, 2003 : 191). Ces critères sont problématiques car ils font naître des conflits d’usage. Cette activité entre en effet en concurrence avec la pêche, le tourisme et les ports de commerces qui utilisent aussi cet espace littoral. Pourtant cette filière gagnerait à se développer ; ce type de production se pratique avec de faibles contraintes (coût de maintenance de la parcelle réduit), requiert une main d’œuvre nombreuse pour le bouturage et la récolte permet l’implantation d’un secteur industriel de transformation et génère des profits avec des stratégies de vente (récolte toutes les quatre semaines avec un prix de revient de 20 dollars Eastern Caribbean par livre anglaise). Les terroirs aquacoles d’algues rouges représentent « une perspective de développement pouvant aider à résoudre les problèmes environnementaux (pollution, érosion) et socio-économiques (chômage, faibles revenus, fluctuations des cours mondiaux) liés aux cultures commerciales d’exportation (banane, canne à sucre). Dans les Petites Antilles, ce type d’activité est précieux, car il contribue à préserver l’équilibre socio-économique des sociétés insulaires » (Ramdine, 2003 : 193). Cette étude de cas a présenté à l’échelle locale les possibilités de développement durable offertes par l’algoculture. Cette algoculture de macro-algue contribue également à la gestion durable des écosystèmes marins grâce à la préservation des champs naturels de Gracilaria moins soumis à la cueillette. Dans la mesure où elle offre une valorisation d’une ressource autre que le poisson, l’algoculture facilite le renouvellement de la ressource halieutique. À cette culture de macro-algues en milieu littoral s’ajoute le développement récent d’une culture de micro-algues dans des bassins artificiels ou en photobioréacteurs. Il s’agit dorénavant de présenter cette nouvelle algoculture en privilégiant une approche comparative avec des territoires proches de l’espace caribéen. 3. L’algoculture de micro-algues : quelles perspectives de développement pour l’espace caribéen ? 10Afin de mieux comprendre les potentialités de développement de cette nouvelle algoculture pour les Caraïbes, il convient d’exposer brièvement le contexte et les acteurs de ce secteur engagés sur le territoire nord-américain. 3.1 Les États-Unis : territoire de référence pour la culture de micro-algues. Il y a deux manières de produire des micro-algues : un dispositif de culture ouvert (type étang) et un dispositif fermé dans une enceinte transparente. Les cultures à grande échelle se font pour l’instant principalement à l’aide d’étangs à haut rendement de type « champ de course » (en anglais raceway), profonds de quelques dizaines de centimètres. Ce système de culture contribue majoritairement à la production mondiale de biomasse micro-algale. Le milieu de culture circule grâce à des roues à aubes. Les éléments nutritifs sont apportés de manière à garantir une croissance optimale des algues. Un bullage assure l’apport en CO2. Les micro-algues sont aussi cultivées de manière intensive en photobioréacteurs. Les photobioréacteurs prennent moins d’espace, ils sont plus techniques et plus chers. Il s’agit de tubes fermés dans lesquels les micro-algues croissent par exposition à la lumière artificielle et adjonction de CO2. Les autorités américaines souhaitent cultiver cette végétation marine sous ces deux modes pour pallier une offre insuffisante et avoir une politique énergétique à long terme. La recherche américaine s’est très tôt penchée sur les potentialités de développer un « algocarburant » (Sheehan, 1998). Des travaux américains avaient été initiés à la suite du choc pétrolier de 1973 par le National Renewable Energy Laboratory (NREL), mais ils ont été arrêtés en 1996. Les chercheurs estimaient que la production de ce biocarburant à partir de micro-algues ne pouvait être rentable que pour un baril de pétrole supérieur à 60 dollars américains. Or la conjoncture actuelle, marquée par un cours du pétrole très volatil et par la nécessité de lutter contre les gaz à effet de serre, encourage les travaux de recherche menés sur ces énergies renouvelables et la culture industrielle des micro-algues. Malgré l’importance du lobby agricole qui a longtemps soutenu les agrocarburants classiques, les autorités américaines, le DOD (Department of Defense) et le C.M.I. (complexe militaro-industriel) ont mené une politique novatrice sur les algues en mettant au point les premières cultures commerciales. Le complexe industriel américain est ainsi avancé dans les systèmes de culture terrestre de micro-algues à vocation énergétique. Ces dernières sont des organismes qui utilisent la lumière comme source d’énergie pour fixer le dioxyde de carbone (CO2). Certaines espèces peuvent accumuler le carbone absorbé sous forme de lipides, ce qui permet d’utiliser ces micro-organismes pour produire des biocarburants. Les micro-algues concentrent en effet des acides gras jusqu'à 80% de leur poids sec pouvant donner des rendements à l'hectare 30 fois supérieurs aux espèces oléagineuses terrestres comme le colza, le soja et le tournesol (Cadoret, 2008 : 205). La fabrication de ce biodiesel algal n’entre pas directement en concurrence avec la culture de céréales destinées à l’alimentation humaine ou animale comme d’autres agrocarburants. La biodiversité des micro-algues est conséquente : entre 200 000 et plusieurs millions d’espèces existent. Une telle diversité constitue un réel potentiel pour la recherche et l’industrie mais aussi un réel défi de sélection et de mise en culture. Les micro-algues suscitent un vif engouement dans le milieu de la recherche et de nombreuses start-up plus ou moins solides aux États-Unis investissent ce créneau. Cette culture constitue un secteur porteur où l’on retrouve différents acteurs : industriels, pétroliers, recherche universitaire, armée, l’ensemble impulsé par les ministères de l’énergie ou de la défense. Des expériences de culture ont été menées à Hawaï, en Californie et au Nouveau-Mexique où une ferme à ciel ouvert d’une surface de 1 000 m2 a été crée pour évaluer la productivité de ce mode de culture. Cette activité rassemble de nombreux acteurs intéressés par les perspectives d’un green business novateur et rentable. PetroSun, en Arizona, est la première entreprise à pratiquer l’algoculture ouverte en bassins artificiels au stade industriel pour le biodiesel : l’usine de production de biodiesel algale à Rio Hondo au Texas s’étend sur 450 hectares et la société annonçait à terme une production allant jusqu’à 16 millions de litres d’huile d’algale par an (carte de synthèse). La ferme algale de Rio Hondo est très importante en taille mais sa productivité n’est pas claire. Néanmoins sa proximité avec le Mexique laisse entrevoir des dynamiques transfrontalières pouvant favoriser le développement de la culture de micro-algue (voir carte de synthèse). Des groupes pétroliers travaillent également à ces projets tels que Chevron et Shell. La compagnie pétrolière Shell s’est engagée dans une joint-venture avec HR BioPetroleum en finançant la culture des micro-algues en bassin sur le site de Cellana sur la côte de Kona à Hawaï. Il s’agit pour ces groupes de développer de nouveaux carburants qui soient compétitifs dès 2012 afin de gagner rapidement des parts de marchés et de détenir des brevets. Hawaï est une base navale américaine : la production de micro-algue en zone intertropicale peut être aussi une réserve stratégique pour la flotte. L’algoculture terrestre entre ici pleinement dans le domaine de la géopolitique d’un monde sans pétrole. La multitude des acteurs et des investissements dans l’algoculture illustrent l’espoir suscité par l’exploitation énergétique de cette biomasse marine. Pour l’exploiter, les savoirs et les compétences requis sont nombreux : génétique, mécanique des fluides, biochimie et raffinage industriels. Se profile un biocarburant exploitable en quantité suffisante et renouvelable puisque l’énergie originelle vient du soleil. Cette huile d’algue représente ainsi une substitution plausible aux énergies fossiles et des potentialités de développement pour les espaces de la zone intertropicale. Les territoires insulaires de l’espace caribéen étant de plus déficitaires en matière d’énergies fossiles, ce carburant de substitution permettrait l’autonomie énergétique (Chardon, 2006). 3. 2 L’espace Caraïbe : des conditions optimales pour la culture des micro-algues. L’espace caraïbe bénéficie de plusieurs atouts pour faciliter le développement de cette nouvelle algoculture : d’une part la proximité géographique avec les États-Unis (Université de Miami, site de Rio Hondo) et la présence de territoire français (la France a des centres de recherches publics très en pointe sur le sujet avec le CEA de Cadarache et l’IFREMER) peuvent permettre les transferts territoriaux de compétence, de technologie et des investissements (voir carte de synthèse). D’autre part les conditions climatiques de la zone intertropicale sont très propices pour la croissance et la culture massive de micro-algues : forte exposition au soleil, température stable toute l’année, fort taux d’humidité. Il s’agit ici de présenter différents projets qui pourraient être transposables aux pays appartenants à l’espace caraïbe. Il existe actuellement un nouveau projet de culture de micro-algues en sac développé par la NASA en Floride (Cap Canaveral). Ces sacs composés de deux parois sont dits osmotiques : ils laissent l’eau contenue s’en extraire et ils sont imperméables aux eaux extérieures. Ils sont déposés à la surface de la mer. Ces sacs ont été utilisés notamment par les astronautes lors de longs vols spatiaux afin de recycler les eaux usées. Ce projet se construit autour de trois étapes : remplir des sacs avec des eaux grises issues des rejets urbains, les micro-algues croissent alors dans ce substrat et l’eau traitée peut quitter la membrane osmotique et se déverser dans la mer. Avec la biomasse créée, il s’agit alors d’en extraire les lipides pour faire un algocarburant. Du CO2 a été séquestré au passage par les micro-algues. La NASA a choisi d’expérimenter ce projet sur les côtes occidentales de la Floride dans la baie de Tampa sur le Golfe du Mexique (voir carte de synthèse). Le choix de ce site s’explique par plusieurs facteurs : des eaux calmes et protégées des courants, des températures de l’air élevées toute l’année, une forte exposition au soleil et surtout de fortes densités urbaines et une activité industrielle importante (raffineries, centrale électrique thermique). En développant la culture de micro-algues en mer, ce projet préserve les terres. Si la production de biomasse algale se révèle concluante, il est fort possible que ce type de culture de micro-algues se développe vers d’autres espaces. Les baies insulaires de la mer des Caraïbes pourraient ainsi accueillir ce type de projet. Les micro-algues appelées cyanobactéries sont déjà utilisées pour traiter les boues des stations d’épuration. Elles utilisent en effet l’azote, les phosphates, et les nitrates contenus dans ces eaux pour croître. Ces caractéristiques biologiques s’avèrent intéressantes pour les sociétés insulaires. L’accès à l’eau douce et le traitement des eaux usées constituent des problématiques importantes pour l’aménagement des milieux insulaires. La culture de micro-algues couplée à des stations d’épurations pourrait à terme offrir une solution durable pour la gestion des eaux usées domestiques. Une entreprise de culture de micro-algues en photobioréacteurs a compris ces enjeux environnementaux et développe actuellement sur l’île de la Réunion une filière environnementale fondée sur la culture de micro-algues. L’entreprise Bioalgostral a été créée en août 2008, dans le cadre du programme GERRI (Grenelle de l’Environnement à la Réunion, Réussir l’Innovation). Elle appartient à la plate-forme biotechnologique de recherche CIROI (Cyclotron Réunion Océan Indien) située à Sainte-Clotilde au Sud de Saint-Denis. Grâce aux conditions climatiques de la zone intertropicale, la culture de micro-algue y est optimale. Les eaux usées des stations d’épuration assurent la croissance des micro-algues. Cette biomasse est ensuite méthanisée dans un digesteur qui produit à la fois de l’électricité et sert à alimenter en CO2 la croissance des micro-algues. La phase finale du projet consiste à créer un algocarburant à partir de la biomasse méthanisée. Ce mode de production de micro-algue est un cycle fermé qui assure un double objectif : l’optimisation des stations d’épurations et la garantie d’une autonomie énergétique. La technologie développée par cette entreprise montre les perspectives de développement durable offertes par la culture de micro-algues pour les territoires insulaires de la zone intertropicale. La puissance publique française s’intéresse également aux usages et aux valorisations des micro-algues (Doumenge, 1984 : 580). Les États Généraux de l’outre-mer français ont eu pour projet d’établir une algoculture de masse aux Antilles (Gienes, 2009). À la suite d’un état des lieux de l’exploitation énergétique en outre-mer, l’Etat français a pu dresser le bilan suivant : les territoires ultramarins connaissent une forte dépendance à l’extérieur et aux énergies fossiles. Pour répondre à la demande en énergie, le nucléaire n’est pas adapté (marché trop petit et habitat dispersé en chapelet d’île). Il est donc nécessaire de développer des énergies locales, renouvelables et facilement distribuables sur les îles. La biodiversité marine apporte une réponse à ce besoin énergétique et le rapport souligne que l’algoculture de masse offre les conditions d’un développement économique durable et endogène : « L’esprit du projet consiste à utiliser les ressources spécifiques de l’outre-mer français pour participer à la construction d’un socle industriel spécifique à ces territoires. Il sera alors possible d’exporter ou de transformer localement afin de sédentariser cette valeur ajoutée » (Gienes, 2009 : 4). À partir de l’expérience d’une société antillaise de culture de micro-algues (Héliogreen), le projet prévoit de déployer une unité de production de micro-algues d’un millier d’hectares dans les Antilles françaises pour 2013. Il s’agit par conséquent de favoriser l’action commune entre les acteurs de la recherche publique et privée pour faire naître une véritable industrie des biotechnologies à vocation alimentaire, cosmétique, pharmaceutique et énergétique. Ces différents projets exposés témoignent de la vitalité de la recherche et de l’innovation dans des territoires proches de l’espace caribéen (Etats-Unis) ou sur des îles tropicales (La Réunion). L’objectif était de montrer à l’aide de ces exemples et des études prospectives menées dans les Antilles françaises que l’algoculture de micro-algues représente une voie prometteuse de développement durable pour l’espace caraïbe. Les algues sont ainsi une ressource marine renouvelable à cultiver. Elles offrent de multiples voies de valorisation (alginates, méthanisation, traitement des eaux usées, stockage des intrants, séquestration du CO2) et elles sont à insérer dans des projets environnementaux (culture en lien avec les stations d’épuration). La culture des macro comme des micro-algues s’adapte au milieu insulaire et le climat de la zone intertropicale est optimal pour favoriser leur croissance. Avec un littoral maritime de 26 826 kilomètres (soit une fois et demie celui des Etats-Unis), la région caraïbe détient un fort potentiel de développement de cette ressource marine. Sous un angle géographique plus large, l’espace caribéen peut-il bénéficier du climat d’innovation nord-américain, français et européen et peut-il s’appuyer sur l’émergence d’un bloc économique régional pour favoriser le développement de cette nouvelle algoculture ? Si la promesse d’un algocarburant rentable se concrétise, alors il y a fort à penser que cet espace intertropical attisera de fortes convoitises. Il faut cependant savoir garder la distance critique du géographe pour saisir les limites et les inconvénients de cette nouvelle activité : risques de contamination du milieu naturel par des espèces invasives, destruction des installations en mer par les épisodes cycloniques, recyclage des produits chimiques utilisés pour extraire les lipides des micro-algues. Autant de problématiques environnementales que les acteurs de cette nouvelle algoculture ne doivent pas oublier s’ils veulent promouvoir un développement durable pour près de 4% de la population mondiale. |
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